Togo: Alternance, justice, réformes, locales, le message de l’Eglise pour le 27 avril

luzdelsol668
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(Société Civile Média) – Très regardants sur l’actualité politique et sociale du Togo, la conférence des Evêques a profité de l’occasion à elle offerte par le 57ème anniversaire de l’Indépendance pour s’adresser une fois de plus aux Togolais. Alternance, justice sociale, justice judiciaire, Réformes institutionnelles, élections locales (pour ne citer que ceux là), tous les sujets brûlants ont été abordés par l’Eglise dans ce nouveau message. Un message qui arrive presque trois semaines après celui dans lequel elle apportait sa part de contribution à la phase des réparations enclenchée par le Haut Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale (HCRRUN) en vue d’indemniser les victimes des violences sociopolitiques qu’a connues le Togo de 1958 à 2005. Lecture !

MESSAGE DE LA CONFERENCE DES EVEQUES DU TOGO A L’OCCASION DU 57ème ANNIVERSAIRE DE L’INDEPENDANCE DU TOGO

«Il y a de l’espérance pour ton avenir »

(Jérémie 31,17)

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Frères et sœurs en Christ,

Fils et filles bien-aimés de Dieu,

Hommes et femmes de bonne volonté,

« Il y a de l’espérance pour ton avenir ». Quelle belle promesse ! Ces mots de réconfort que nous avons choisis comme thème de notre message, ont été adressés par Dieu au prophète Jérémie aux heures les plus sombres de sa vie mouvementée, au moment où son avenir semblait totalement bouché, voué à l’échec.

En ce temps de Pâques qui est pour nous les chrétiens la célébration de la victoire de la vie sur la mort, de la lumière sur les ténèbres, du bien sur le mal, de la vérité sur le mensonge, nous reprenons avec confiance ces paroles chargées de foi et de sens pour vous saluer, frères et sœurs bien-aimés de Dieu. « Il y a de l’espérance pour ton avenir », pour notre avenir, pour notre Pays qui s’apprête à célébrer l’anniversaire de son Indépendance, à condition que nous y croyions et que nous sachions accueillir comme il convient ce temps de grâce que Dieu prépare pour nous.

  1. D’un message à l’autre

1.1 Une interpellation adressée à chacun

Il y a un an, à l’occasion du 56ème anniversaire de l’Indépendance du Togo, nous vous avions adressé une lettre pastorale intitulée : « Soyons responsables dans la vérité et la justice » ; un message pressant  vous invitant à un sursaut patriotique en vue de sortir notre Pays de l’enlisement sociopolitique dans lequel nous le voyions sombrer progressivement.  Interpellant chacun de vous devant sa conscience et devant l’histoire, nous vous exhortions à poser un regard de vérité sur vous-mêmes et sur  les longues décennies de nos errements politiques, afin de rompre définitivement avec la léthargie, la fuite en avant et les luttes intestines qui non seulement ont endeuillé notre peuple, mais aussi freiné notre essor. Une année vient de s’écouler depuis ce vibrant cri du cœur jailli de notre amour pour la Mère Patrie. Une année de plus, une année qui semble n’avoir pas produit tous les résultats attendus.

1.2 A quel point en sommes-nous ?

En regardant ces douze mois qui viennent de s’écouler, nous ne pouvons pas ne pas éprouver une certaine déception. En effet, si l’immense espérance suscitée par notre message nous a fait croire, au départ, à une évolution positive de la situation sociopolitique de notre Pays, nous n’avons pas tardé à nous rendre à l’évidence, qu’une fois encore, notre message est retombé dans le silence. Ainsi, après les premières réactions encourageantes qui ont allumé dans les cœurs une lueur d’espérance, la désillusion n’a pas tardé à s’emparer des esprits. De fait, le diagnostic audacieux que nous avons posé, les réflexions courageuses que nous avons menées et l’appel pathétique que nous avons lancé sont restés sans grand effet. Et la lassitude, la désespérante lassitude s’est de nouveau installée, comme une « bombe à retardement », prête à exploser à la première occasion. Osons le reconnaitre : derrière les apparences de quiétude et de tranquillité qu’il affiche, le Togo, notre cher Pays, va mal ; ses fils et filles sont de plus en plus désabusés ; ils ne savent plus quel chemin emprunter pour sortir de l’ornière et parvenir à la paix ; leur avenir semble bouché. Et des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour crier leur désarroi face aux « dialogues sans lendemain » qui, les uns après les autres, n’ont engendré que des frustrations. Disons-le en toute sincérité, derrière les apparences illusoires de paix, les cœurs s’endurcissent, les positions se radicalisent, les mains jadis tendues pour le dialogue et la fraternité se referment. Ne faisons pas semblant de l’ignorer ! C’est dans ce climat trompeur que nous nous apprêtons à célébrer notre 57ème anniversaire d’accession à la souveraineté nationale. C’est également dans ce contexte assez instable qu’une fois encore, sans nous laisser gagner par la lassitude, nous revenons vers vous avec ce message inspiré par la promesse de Dieu à Jérémie et l’exhortation de l’Apôtre Paul à son disciple Timothée : « Proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire » (2 Timothée 4,2).

  1. Nos rappels fondamentaux

Convaincus qu’un peuple qui vit sans repères se condamne à errer sans but, nous avions consacré la première partie de notre Lettre pastorale à la réaffirmation de certaines vérités et valeurs que nous considérions comme étant la base de notre vivre-ensemble, parce qu’elles sont le minimum sans lequel nous ne pouvons bâtir notre cohésion sociale ni aspirer au développement.

2.1 L’alternance

Elle est au cœur de toutes les luttes qui opposent les fils et filles de notre Pays ; elle est la première pomme de discorde qui alimente nos conflits. A ce propos, nous avons tenu à rappeler que « Le principe de l’alternance politique, avant d’être une valeur démocratique, est surtout une exigence de droit naturel. Précisément, parce que les gouvernants sont à notre service, il est légitime de les remplacer quand nous estimons qu’ils ne remplissent plus leur mission ou qu’ils ont atteint une limite  qui ne leur permet ou ne leur permettrait plus de bien remplir cette mission ». Il ne s’agit donc pas d’une faveur que l’on pourrait accorder ou non au peuple ; il est plutôt question d’une exigence capitale que tout citoyen ou parti politique devrait respecter.

2.2 La justice sociale

A la racine du « mal togolais », nous avions également identifié les injustices sociales en ces termes : « Il est véritablement choquant de constater que dans un Etat les biens soient accaparés par quelques riches qui deviennent davantage riches au détriment des plus pauvres qui deviennent davantage pauvres : il ne s’agit ni plus ni moins que d’une inversion de la fonction politique elle-même. Le scandale n’est pas qu’il y ait des riches et des pauvres ; le scandale est dans le fait que les institutions qui doivent instaurer un minimum d’équilibre se murent dans l’indifférence ou choisissent un camp, celui des riches, paradoxalement, et s’y cantonnent ».

2.3 La justice judiciaire

Sur ce plan, notre message a été sans équivoque : « Avant même les pouvoirs exécutif et législatif, le pouvoir judiciaire a un rôle fondamental à jouer dans la mesure où, en étant juste et équitable, il montre que dans une société, ce ne sont pas toujours les forts qui l’emportent.(…….) Dans ce sens, nous réitérons notre appel concernant les graves incendies des marchés de Kara et Lomé,  et autres cas similaires, au sujet desquels continuent de circuler des hypothèses contradictoires. Le peuple a le droit de savoir ce qui s’est réellement passé pour que les responsabilités soient situées, les auteurs sanctionnés, et si leur culpabilité n’est pas établie, les personnes interpellées, relâchées. »

2.4 Responsabilité et vérité

Conscients du fait qu’il n’y a pas de responsabilité sans vérité, nous vous invitions à vous placer résolument devant Dieu « Car l’homme n’est jamais vraiment responsable que dans la vérité, devant la Vérité – c’est-à-dire ultimement, devant Dieu. (…..) L’indifférent, c’est le type même du désinvolte qui oublie la responsabilité parce qu’il n’assume pas la vérité de l’amour du prochain, qui ayant oublié le souci de pratiquer la Vérité, nous apparaît forcément irresponsable. »

2.5 Appel à la cohérence.

Forts de toutes ces considérations, nous lancions aux responsables politiques un appel à plus de justice et de cohérence car « On ne peut pas, au nom d’un prétendu réalisme politique, mais en réalité au nom d’intérêts souvent mesquins, bannir de la politique le droit et la morale (Centesimus annus, 25). »

  1. Les priorités signalées

3.1 Les réformes institutionnelles

Parmi les sujets prioritaires que nous vous invitions à examiner, figurait en première ligne la question incontournable des réformes au sujet desquelles le Gouvernement avait pris des engagements ; et nous affirmions avec force que « La relative tranquillité que connaît notre Pays ne doit pas servir de prétexte à un abandon pur et simple de ces questions qui, à notre avis, revêtent pour la vie de notre Nation, une importance capitale. Parmi ces dernières nous mentionnons en particulier la controverse sur la limitation du mandat présidentiel qui, dans le contexte actuel de sa remise en cause dans nombre de pays africains, doit faire l’objet d’une diligente réflexion visant à régler de manière durable la lourde tension qu’entraîne ce sujet ».

3.2 Les élections locales

Elles constituent le deuxième engagement du Gouvernement que nous l’invitions à honorer car  « La question des élections municipales reste (…) un enjeu important pour notre Pays car jusqu’ici, on voit très clairement que les « Présidents de Délégation » nommés ne se sentent pas vraiment responsables devant leurs administrés, ceux-ci étant apparemment dépourvus de tout moyen de recourir contre eux ». Voilà pourquoi nous exhortions vivement « à ce que le processus de décentralisation qui s’amorce enfin dans notre Pays et l’organisation des élections locales soient conduits avec diligence et de manière participative ».

3.3 Egalité de traitement des citoyens

Ce droit fondamental de tout citoyen avait été réaffirmé avec solennité il y a cinq ans par le Chef de l’Etat, le 26 avril 2012, à la veille de la commémoration de notre accession à la souveraineté nationale : « La Société que nous entendons bâtir, disait-il, est avant tout une société d’ouverture et d’inclusion. Les hommes et les femmes qui la composent doivent bénéficier de l’égalité des chances : égalité des chances devant la loi, égalité face à l’école, égalité face à l’emploi. En toutes circonstances, le mérite doit l’emporter sur tous les autres critères ».

Commentant ces propos du Président de la République, nous affirmions : « la justice exige, en toute circonstance, que l’attribution des responsabilités suive le mérite et non les intérêts partisans. La « méritocratie » est un gage de la croissance morale d’un pays. On ne pousse pas un peuple à l’effort, on ne l’y encourage pas lorsque les seuls qui réussissent sont ceux qui ont des liens obscurs dans les arcanes du pouvoir. C’est ainsi que l’on encourage d’ailleurs les circuits de la corruption qui devient malheureusement parfois, dans certains secteurs, une véritable méthode de gouvernement ».

3.4 Une opposition responsable

Par ailleurs, relayant les sentiments d’une bonne partie de nos concitoyens, nous lancions un appel à l’adresse de l’opposition politique de notre Pays pour qu’elle soit vraiment responsable et capable d’offrir une alternative sérieuse à nos populations, en évitant d’être simplement « des groupes d’intérêt empêtrés dans des querelles intestines ».

3.5 Combat contre l’impunité

Enfin, « Face aux violences sporadiques et aux conflits sociaux mal gérés que connaît encore notre Pays malgré la tranquillité relative qui le caractérise depuis quelques années », nous exhortions « chaque citoyen, en particulier les pouvoirs publics, à combattre l’impunité et à promouvoir inlassablement le dialogue. Ne donnons pas aux populations l’amère impression que c’est seulement la violence qui fait « bouger les choses » au Togo ; ne laissons pas s’installer chez nous l’odieuse tendance à se faire justice à cause de la défaillance de la justice ; ne nous lassons pas de chercher ensemble les solutions appropriées à nos défis communs, car le dialogue n’est ni capitulation ni faiblesse devant une opinion contraire mais écoute respectueuse de l’autre et engagement sincère avec lui à construire ensemble notre Pays. »

  1. Une nouvelle chance

4.1 Un contexte de célébrations

Au moment où nous vous adressons ce message, notre Pays célèbre le 57ème anniversaire de son Indépendance pendant que l’opinion nationale est dominée par les débats autour du HCRRUN ( Haut Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale), des réparations proposées par la CVJR, tout comme des réformes constitutionnelles et institutionnelles. Par ailleurs, le contexte sociopolitique est marqué par la persistance du climat d’insécurité et la résurgence des conflits intercommunautaires liés aux litiges fonciers et aux questions de chefferie.

4.2 Un contexte de contestations

A l’heure actuelle, beaucoup de Togolais demeurent encore très sceptiques au sujet de la situation qui prévaut dans notre Pays malgré les démarches initiées par le Gouvernement dans le cadre de la décentralisation, initiatives que nous saluons avec espoir en exhortant les institutions en charge de ce dossier à le conduire de manière consensuelle, dans la transparence et avec la participation du peuple. Aujourd’hui, nombreuses sont les populations qui sont déçues par la lenteur de la mise en œuvre des recommandations de la CVJR auxquelles elles avaient fini par adhérer après les doutes exprimés à sa création. Et les mécontentements manifestés de manière récurrente contre le HCRRUN ne sont que l’expression des frustrations accumulées par ces populations qui voudraient voir s’opérer rapidement la décentralisation et les « réformes immédiates » sur lesquelles un consensus s’était dégagé au sein de la classe politique.

4.3 Une nouvelle opportunité

Toutefois, malgré les échecs répétés enregistrés au cours de ces dernières années, une nouvelle opportunité s’offre à l’Assemblé Nationale de se pencher, une fois encore, sur la question des réformes suite aux injonctions de la Cour Constitutionnelle de reprendre la procédure relative à la proposition de loi de révision constitutionnelle proposée par certains partis.

Afin de permettre à cette initiative d’aboutir enfin à un dénouement heureux, nous invitons toute la classe politique à la saisir pour opérer les réformes attendues par le peuple, notamment la limitation de mandat et le mode de scrutin présidentiel. De même, nous lançons un appel aux populations, en particulier aux élites, pour qu’elles ne cèdent pas à la résignation mais s’inscrivent plutôt dans cette dynamique active de recherche de solutions durables.

4.4 Notre aspiration commune

Par-delà les ethnies, les régions, les religions et les partis politiques, nous partageons tous une même espérance, celle de voir notre Pays tourner résolument le dos à ses crises récurrentes pour engager définitivement son avenir sur les rails de la réconciliation, de la paix et du développement. Pour y parvenir, nous avons besoin de citoyens responsables épris du bien commun qui placent les intérêts du Togo au-dessus de leurs ambitions personnelles. Nous avons besoin de dirigeants honnêtes qui ne profitent pas de leurs charges pour piller le Pays en toute impunité. Nous avons besoin d’acteurs politiques ayant une vision nouvelle, qui ne soient ni accrochés désespérément au passé et à leurs privilèges ni intransigeants face à la complexité de l’héritage de notre histoire. Nous avons besoin d’une justice impartiale et respectueuse des droits de tous les citoyens. Nous avons besoin d’une Armée nationale « républicaine et apolitique » entièrement soumise à l’autorité politique constitutionnelle régulièrement établie » (cf Constitution, Art. 147). Nous avons besoin d’une opposition plus crédible et fortement attachée aux valeurs de la démocratie ; une opposition plus soucieuse de proposer des alternatives fiables à nos populations que de se livrer des guerres intestines qui l’affaiblissent; une opposition qui incarne les aspirations légitimes du peuple et lui redonne espoir en un avenir meilleur. Nous avons besoin de citoyens qui inspirent confiance et acceptent de se dépasser ; de citoyens qui croient en un lendemain possible ; de citoyens capables de reconnaître leurs erreurs pour redresser la barre.

4.5 Notre prière

Si Dieu croit en notre avenir, nous devons, à notre tour y croire et  nous tourner vers lui pour le supplier de nous aider à le préparer. Le Seigneur nous assure que si nous demeurons fidèles à nos engagements, nous sauverons notre Patrie. C’est dans ce sens que, répondant à l’invitation du HCRRUN, nous avons demandé à tous les fidèles de supplier le Seigneur d’accorder à notre Pays la grâce du pardon, en particulier pour le sang innocent versé sur la « Terre de nos Aïeux ». Demandons-lui de toucher le cœur des auteurs présumés pour qu’ils prennent conscience de leurs péchés, se convertissent et implorent le pardon. Qu’il touche également le cœur des victimes pour qu’elles puissent dépasser leurs blessures pour offrir le pardon. Qu’il touche, enfin, le cœur de nos Autorités pour qu’elles opèrent les réformes tant attendues par notre Peuple, réformes qui, nous le croyons fermement, consolideront la paix et la réconciliation dans notre Pays.

Confions à notre Mère, la Vierge Marie, Notre Dame de l’Espérance, cette profonde aspiration de notre Peuple afin qu’elle intercède pour nous auprès de son Fils.