INTERVIEW EXCLU/Pro-CEMA : Travail abattu, bilan, grands chantiers du programme en 2019…Henri VALOT se confie

luzdelsol668
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(Société Civile Média) – Philosophe et juriste de formation, Henri Gabriel VALOT a une longue expérience dans le monde du développement international. Expert des questions liées à la société civile, ce Français, qui vit en Afrique depuis un bon moment, a fait ses preuves au Cambodge, au Mozambique, en Angola, au Mali et en Afrique du Sud avant d’atterrir à l’Union Européenne (UE) où il a travaillé sur des projets généralement en appui aux acteurs non étatiques et à la société civile. Chef Projet du Pro-CEMA depuis son lancement en février 2018, Henri VALOT, dans cette interview accordée à l’agence Société Civile Média, fait le bilan du travail de ce programme qui a bouclé plus de 12 mois d’activités. Il évoque ses retombées sur les OSC togolaises et décline, par ailleurs, les grands chantiers du Pro-CEMA en 2019. Lecture !

Monsieur Henri VALOT, vous êtes au Togo depuis plus d’un an en qualité de Chef Projet du Pro-CEMA, le Programme de Consolidation de l’Etat et du Monde Associatif. Pour ceux qui ne vous connaissent pas, pouvez-vous brièvement brosser votre parcours ?

Je m’appelle Henri VALOT. Je suis français d’origine mais ça fait bien longtemps que je vis en Afrique. Je réside normalement en Angola.
En ce qui concerne mon parcours, je suis philosophe et juriste de formation. J’ai cependant très vite commencé à fréquenter le monde du développement international, en travaillant d’abord au Ministère français des Affaires Etrangères et particulièrement à la division des réfugiés. Après j’ai rejoint les Nations Unies où j’ai participé à trois missions de maintien de la paix notamment les missions électorales du Cambodge et du Mozambique et à l’observation des droits humains en Angola.

J’ai également travaillé longtemps au Programme des Nations Unies pour le Développement et notamment aux Volontaires des Nations Unies. J’ai été responsable d’un grand projet d’appui à la décentralisation au Mali, en 2002-2005. Ces dernières années, j’ai travaillé pour CIVICUS, un réseau international de la société civile basé à Johannesburg en Afrique du Sud. Ce qui m’a permis de beaucoup apprendre sur la situation des organisations de la société civile. Plus récemment, enfin, j’ai participé à un certain nombre de projets de l’Union Européenne (UE), généralement en appui aux acteurs non étatique et à la société civile. J’ai fait ce choix parce que les projets d’appui à la société civile de l’UE sont des projets très progressistes, très intéressants et qui, finalement, sont assez proches de ce que je faisais pour la société civile avec CIVICUS. Je peux donc dire qu’avec ce travail, je suis en accord avec moi-même !

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Henri VALOT lors d'une rencontre de présentation du Pro-CEMA
Henri VALOT lors d’une rencontre de présentation du Pro-CEMA

Justement, votre travail avec l’UE vous a conduit à être retenu Chef-projet du Pro-CEMA, programme que vous dirigez depuis un peu plus d’un an et qui a bouclé un peu plus de 12 mois d’activité en février dernier. Comment qualifierez-vous son bilan après ce parcours ?

Avant de parler du bilan, permettez-moi d’aborder brièvement l’avant-officialisation du programme. En assistance technique internationale, deux personnes sont souvent responsables d’un projet. En ce qui concerne le Pro-CEMA, il y a le Responsable Administratif et Financier qui se nomme Mathias AGBOBLI, et moi-même. Nous avons en réalité commencé le travail lié à ce programme le dernier trimestre 2017. Il a fallu d’abord écrire le projet. A l’UE, c’est ce qu’on appelle faire l’identification et la formulation du projet, ce à quoi nous nous sommes attelés entre septembre et octobre 2017 après plusieurs consultations des parties prenantes. Le projet sera finalement signé en décembre 2017 par le Ministre du Plan qui est l’ordonnateur national délégué du Fonds Européen de Développement (FED) et par la cheffe de la Délégation de l’UE.

En ce qui concerne le bilan du Pro-CEMA, des choses intéressantes ont été faites en 2018 : le premier cycle de l’Académie politique des femmes leaders, l’atelier des faitières, réseaux et plateforme où on a mis à plat tout ce qui structure la société civile. Une autre chose non négligeable est l’appel à proposition que nous avons lancé à la fin de l’année dernière et qui nous permet en ce moment d’évaluer les propositions reçues. Autre volet important à insérer dans notre bilan, l’organisation des trois formations de formateurs et formatrices portant sur des thématiques importantes qui touchent la société civile à savoir le développement organisationnel, la gouvernance partagée et l’égalité du genre. Enfin, il y a tout le travail cartographique qui a été assez important et qui permet d’avoir une meilleure connaissance des dynamiques de la société civile.

Henri VALOT accordant une interview aux médias lors de la Journée nationale de la société civile
Henri VALOT accordant une interview aux médias lors de la Journée nationale de la société civile

C’est donc un gros travail de connaissance et d’apprentissage du secteur de la société civile qui a été fait cette première année et qui nous a permis de nous faire connaître, de tisser des relations avec beaucoup d’organisations dont celles qui bénéficient de nos appuis et qui sont en réalité des partenaires. Même si on finance de temps en temps leurs activités, on ne les considère pas comme des bénéficiaires mais comme des acteurs et des partenaires. J’aime bien l’idée de la communauté du Pro-CEMA qui va bien au-delà de l’unité de gestion du projet. Toute l’année 2018 a permis de construire les piliers importants de notre travail. Maintenant nous avons tous les moyens et disposons d’une assez bonne connaissance du terrain pour pouvoir mettre en œuvre correctement les activités de notre plan d’action.

Si on comprend bien, n’y-a-t-il aucun regret après ces premiers mois d’activités ?

Des regrets, nous n’en avons pas en tant que tel. On arrive à communiquer suffisamment sur le programme et à être clair. Si j’ai un regret, c’est peut-être que j’aurais souhaité qu’on ajoute aux trois grands thèmes pris en compte par la formation des formateurs et formatrices, la question des droits humains. Je suis content que l’on a pu soutenir des initiatives comme la ‘‘Nuit des droits de l’homme’’ (organisé par le Collectif des Associations Contre l’Impunité au Togo, NDLR), mais on aurait dû également inscrire plus clairement la protection et la promotion des droits humains dans nos axes stratégiques. Nous avons d’ailleurs reçu une sollicitation du Ministère des Droits de l’Homme pour soutenir la Plateforme multi-acteurs sur les droits de l’homme. Et on va répondre à cette sollicitation au titre de notre résultat dialogue Etat-société civile.

L’une des missions du Pro-CEMA est le renforcement de la société civile togolaise. Vous avez eu l’opportunité de parcourir plusieurs pays et de travailler avec des OSC d’ailleurs. Quelle perception avez-vous de la société civile togolaise avec qui vous travaillez durant un bon moment déjà ?
La société civile togolaise est plutôt forte selon moi. En revanche, elle est divisée. Est-elle « politisée » comme beaucoup le pensent ? Je ne crois pas que cette politisation la caractérise. Le pays a traversé une crise socio-politique en 2017 et 2018 et, au cours de ces moments difficiles, la société civile togolaise a été très mûre dans sa façon d’intervenir. J’ai encore en mémoire les communiqués de presse du CACIT ou encore du G7 (Groupe des 7 organisations de la société civile) que j’ai trouvés prudents et intelligents.

Toutefois, quand des représentants de la société civile s’affichent ouvertement avec les politiques, cela peut ternir l’image de la société civile. Si on veut obtenir le pouvoir, il vaut mieux ne plus militer dans la société civile parce qu’elle n’a pas pour ambition d’avoir le pouvoir.

En somme, la société civile togolaise est diverse comme dans tous les pays. Clairement, il y a nécessité aujourd’hui de mettre ensemble ses acteurs et de leur permettre de discuter entre eux et, pourquoi pas, de se mettre en synergie pour plus d’impacts. C’est bien pour cette raison qu’on essaye de faire communiquer les réseaux, faitières et plateformes. On en a identifié 45 dans différentes thématiques, et qui sont des représentants légitimes de la société civile au Togo. En considérant que chacun de ces réseaux est constitué de 50 ou 60 membres, cela représente donc beaucoup d’organisations mais qui ne discutent pas suffisamment entre elles.

Ensuite, ces réseaux, faitières et plateformes devraient pouvoir élaborer un agenda, une stratégie pour la société civile au Togo parce que ce sont les seuls qui doivent le faire. En dehors des sites sociétécivilemédia.com et Miawoeva.org qui travaillent exclusivement avec et pour les organisations de la société civile, très peu d’organisations ont pour mandat de s’occuper de la société civile. Pourtant, c’est le propre d’une plateforme ou faitière nationale que d’avoir dans son mandat l’appui à la société civile nationale, son renforcement, la capitalisation des expériences, l’élaboration d’une stratégie nationale de la société civile et du dialogue avec l’Etat.

Aux Philippines par exemple où j’ai longtemps travaillé, CODE-NGO est la plateforme des OSC dont le seul rôle est de fédérer et de promouvoir les organisations de la société civile de ce pays. C’est d’ailleurs le seul travail qu’elle fait. Elle ne met en œuvre aucun projet. Certes, la plateforme obtient des financements, mais elle les donne aux organisations concernées par les projets auxquels ces financements sont destinés. Son rôle est donc d’appuyer les organisations, les mettre en réseau, les mettre en contact avec d’éventuels bailleurs de fonds etc. Juste un rôle de médiation. De fait, la première contribution de CODE-NGO à la société civile des Philippines a été de proposer un « code » (d’où le nom de la plateforme !) déontologique pour les OSC et des mécanismes d’auto-régulation. Peu après, le gouvernement a entériné ces mécanismes d’auto-régulation et a reconnu formellement le code des ONG aux Philippines.

Le Mali quant à lui, faisait face à une situation similaire qu’au Togo, avec une multiplication de réseaux, faitières et plateformes tant géographies que thématiques. Tous ces réseaux sont légitimes et il a fallu un gros travail de concertation interne à la société civile pour édifier le Forum de tous ces réseaux, le FOSC. Le FOSC est maintenant l’interlocuteur privilégié de l’Etat, lorsqu’il veut consulter la société civile. Donc, tous les pays d’une façon ou d’une autre, font l’expérience de la diversité de la société civile. Cette diversité est une force des OSC, qui peut cependant facilement se transformer en faiblesse. La société civile togolaise pourrait s’inspirer de ces exemples variés, qui ont permis, dans ces pays, de mieux défendre et protéger la société civile.

Le Pro-CEMA est le projet de renforcement de la société civile. Dites-nous, à ce jour, qu’est ce que le Pro-CEMA a apporté de concret à la société civile togolaise ? Autrement dit, en quoi a-t-elle contribué à la renforcer ?

J’aimerais, bien sûr, pouvoir affirmer que le Pro-CEMA joue un rôle de qualité auprès de la société civile mais je sais que les attentes sont nombreuses et que nous n’avons que des moyens très limités.

Cependant, les différentes cartographies réalisées ont contribué à renforcer la société civile togolaise. Elles contiennent des informations très intéressantes, de bonnes analyses notamment celles liées aux organisations de femmes, à celles qui font du contrôle citoyen de l’action publique, à celles des jeunes ou encore celle qui sont dans le volontariat. En somme, les cartographies apportent de nouvelles connaissances qui peuvent être utiles aux OSC.

Autre chose qui pourrait contribuer à renforcer la société civile, le « réseau des réseaux » que nous avons constitué et qui, selon moi, représente quelque chose de très important également parce que cela n’avait jamais été fait en tant que tel. Avec ce réseau des réseaux, on parvient à un niveau de représentation de la société civile assez intéressant : il représente la société civile dans son ensemble et ça lui donne la légitimité.

Autre initiative qui a contribué à renforcer la société civile togolaise : notre contribution à la constitution d’un vivier de formateurs et formatrices en développement organisationnel, gouvernance partagée et égalité du genre. Parlant justement de la gouvernance partagée, nous avons réussi à faire réfléchir les gens sur ce concept. Nous allons même répliquer notre formation en gouvernance partagée pour les cadres de l’administration publique parce que les cadres des ministères ont estimé qu’il n’est pas normal que cette formation soit uniquement réservée aux organisations de la société civile.

Un autre apport pour la société civile, nos financements à travers l’appel à proposition. L’octroi des financements commence très bientôt.
Enfin, il y a eu la Journée nationale de la société civile célébrée le 20 février dernier. A mon avis, cette Journée a été formatrice pour tout le monde. Elle a été décentralisée mais elle a été finalement portée à bout de bras par le Pro-CEMA, même si on aurait voulu que plus de partenaires puissent y participer. Je pense que la journée nationale de la société civile a apporté quelque chose et fait réfléchir les gens.

Quels seront les grands chantiers du Pro-CEMA pour 2019 ?

Nous allons d’abord nous consacrer au financement des propositions reçues au titre du développement organisationnel, de la gouvernance partagée et de l’égalité du genre. Nous allons ensuite faire un nouveau cycle de l’Académie politique des femmes leaders, dans toutes les régions du Togo. Le cycle 2019 sera ouvert à environ 150 femmes alors que la première avait connu la participation de 132 académiciennes. Si tout se passe bien, le nouveau cycle de l’Académie sera fait en mai-juin prochain, avant les élections locales. Ce qui permettra, nous l’espérons, aux femmes d’être candidates à ces élections.

La troisième chose que nous allons faire en 2019 est de permettre à tous les formateurs et toutes les formatrices formées dans le cadre de la formation des formateurs de répliquer les formations au niveau régional. Nous avons formé entre 20 et 25 formateurs pour chaque thème (développement organisationnel, gouvernance partagée et égalité du genre) dont 3 par région. Nous allons donc donner aux formateurs de chaque région les moyens d’organiser la même formation à l’intention des organisations de la société civile et autres structures. Nous serons présents pour les superviser. En prenant en compte les 5 régions économiques et Lomé commune ainsi que les trois thèmes, nous prévoyons ainsi la réalisation de 18 formations.
Il est également prévu pour cette année un programme de renforcement de capacité uniquement réservé aux organisations féminines. Ce programme fait partie de notre volet égalité du genre. La cartographie des organisations de femmes réalisée l’année dernière a bien fait état de besoin de renforcement de capacités des organisations féminines et nous allons nous y atteler en deuxième semestre.

Nous avons lancé ce 16 avril « Egbé Nana » : 52 portraits de femmes leaders (politiques, associatives ou économiques) qui seront diffusés à la télé et à la radio et qui feront également l’objet de publication.

Henri VALOT lors du lancement du projet "Egbé Nana"
Henri VALOT lors du lancement du projet “Egbé Nana”

Enfin, pour conclure, une des choses essentielles au Pro-CEMA est le dialogue Etat-société civile. Nous allons donc soutenir plusieurs initiatives de dialogue entre l’Etat et la société civile, notamment sur le Plan National de Développement, les ODD, les droits de l’homme, l’égalité du genre et le volontariat.

Le volet dialogue Etat-Société Civile est très important pour le Pro-CEMA puisque nous sommes un projet de « consolidation de l’Etat et du Monde Associatif ». Ainsi, le dialogue entre l’Etat et la société civile est au centre même du Pro-CEMA. Mais il a fallu pour cela identifier la demande, parce qu’on ne voulait pas se lancer dans une plateforme multi-acteurs ou dans un cadre de concertation sans que ça ne soit demandé par les parties, et d’abord par l’Etat. Donc toute l’année 2018 nous a permis d’identifier la demande. C’est donc un point extrêmement important et ce sera peut-être un point de succès et d’impact du Pro-CEMA s’il arrive à soutenir l’établissement de ces cadres de concertation. Mais il faut par ailleurs une réelle appropriation par les parties et que le Pro-CEMA ait une bonne stratégie et réfléchisse aux conditions de durabilité de ces cadres de concertation, parce qu’il serait vraiment dommageable que ces espaces de dialogue s’arrêtent après la fin du programme. Ce sera donc un très gros travail qu’on va faire en 2019 et 2020. Nous espérons que ces cadres de concertation entre l’Etat et la société civile permettront de clarifier certains des malentendus qui subsistent entre les deux parties et surtout qu’ils permettent de créer de meilleures relations partenariales entre elles, parce que les organisations de la société civile, dans leur diversité, ont un rôle fondamental à jouer dans le développement du Togo.

Merci monsieur Henri VALOT

C’est moi qui vous remercie.