(Société Civile Média) – «Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie», c’est l’objectif que se sont assignées les Nations Unis à travers l’ODD 4 (Objectif de développement durable 4). Tout comme les autres objectifs de l’agenda 2030, l’ODD 4 répond à leur souci de ne laisser personne de côté. Au Togo, les enfants de la rue font partie des personnes les plus marginalisées dans la société. Abandonnés et laissés-pour-compte, ils sont la plupart du temps privés non seulement d’éducation parentale, mais aussi et surtout d’éducation scolaire, pourtant nécessaire à leur instruction et à leur épanouissement dans la vie sociale. Mais, des initiatives entreprises par certaines organisations leur permettent de retrouver le chemin des classes et ainsi, de se redonner des chances d’avoir un avenir plus radieux et plus serein.
Zongo avait l’air d’un quartier en fête ce jour du mois de février 2017. Pas très étonnant, c’était un vendredi. Et dans ce coin de Lomé majoritairement peuplé de musulmans, le vendredi, jour de la grande prière, est synonyme de réjouissance. Le quartier grouillait donc de monde, à une trentaine de minutes du début de la prière.
Parmi les passants, un groupe d’enfants, pieds nus, sales et portant des habits déchirés, longeaient la clôture de la direction générale de la Banque togolaise pour le commerce et l’industrie (BTCI). Très peu gênés par leur accoutrement qui, pourtant, laissait à désirer, ils avaient l’air de bien maîtriser les lieux. Une centaine de mètres plus tard, les voilà assis, à même le sol, derrière la clôture de la banque, les sourcils froncés, comme s’ils espéraient quelque chose ou quelqu’un qui tardait à arriver. La suite nous édifiera mieux sur ce qu’attendaient ces enfants, qui sont en réalité des enfants de la rue.
Comment en sont-ils arrivés là ?
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En effet, la prière venait à peine de s’achever qu’ils se sont rués sur une femme qui distribuait des beignets à d’autres enfants. Un rituel dénommé «sara» (en vernaculaire) qui consiste à donner à manger gratuitement aux enfants démunis après la grande prière de vendredi. A Zongo, c’est devenu comme un rituel.
Quartier pauvre et très peu entretenu, Zongo illustre parfaitement le contraste des pays en voie de développement. Il est la destination par excellence des dons en vivres et non vivres qu’effectuent souvent certaines personnes ou organisations caritatives. Voilà qui attire Rodrigue et d’autres enfants de la rue qui s’y rendent donc fréquemment pour trouver de quoi apaiser leur faim. «Je viens souvent ici quand j’ai faim. Parce que des gens viennent nous distribuer du riz, du couscous, et parfois des beignets», nous raconte cet enfant d’à peine 9 ans, avant d’évoquer les raisons qui l’ont conduit à se retrouver dans la rue. «J’ai fui la maison parce que la femme de mon père me battait. Bien que vivant en famille, il me fallait quémander avant de manger. J’ai donc décidé un jour, à la sortie des classes, de ne plus rentrer à la maison».
Visage tuméfié, Daniel dit avoir été battu la veille au quartier Dekon, parce qu’accusé de vol de biscuits sur l’étalage d’une revendeuse. Comme son compagnon Rodrigue, il ne rate pas l’occasion de passer par Zongo lorsqu’il a faim. Et à l’instar de son ami, c’est l’atmosphère familiale invivable qui a poussé cet enfant de 11 ans à quitter la maison pour faire de la rue sa demeure.
Idem pour Roger, 13 ans. Ce dernier a également fait des rues de Zongo son lieu de fréquentation habituel. En réalité, il n’a d’autres choix que de passer régulièrement par là, presque certain qu’il y trouvera quelque chose à manger. A la mort de sa grand-mère, seule personne qui subvenait à ses besoins, cet enfant a vite compris qu’il lui fallait prendre son destin en main. C’est ainsi qu’il abandonna les classes pour devenir portefaix au grand marché de Lomé. «C’était l’unique moyen pour gagner de quoi vivre au quotidien», nous confie-t-il. Le marché étant loin du domicile familial, Roger ressentait de moins en moins l’envie de rentrer. Finalement, il prendra goût à la rue qu’il ne quitte plus.
Déscolarisés malgré eux
Avant de devenir des enfants de la rue, Rodrigue, Daniel et Roger étaient tous élèves. Le premier, selon ses dires, fréquentait une école du quartier Bè à Lomé et était au CP2. Ancien élève de l’EPP Camp Adidogomé, Daniel, lui, était au CE1. Mais son départ de la maison a entraîné l’interruption de son cursus scolaire. Quant à Roger, il était au CM1 avant de devenir, malgré lui, un des nombreux portefaix du grand marché de Lomé.
A l’instar de nos trois compagnons, nombreux sont les enfants qui, pour une raison ou une autre, ont cessé d’aller à l’école pour se retrouver dans la rue. Rien que dans le quartier Zongo, des enquêtes menées par des ONG en ont recensé plus de 250. C’est ainsi qu’ils sont privés d’éducation scolaire pourtant indispensable non seulement à leur épanouissement dans la vie sociale, mais aussi à la formation de leur future personnalité. Voilà qui a conduit certaines organisations à prendre des initiatives en vue de leur permettre de retrouver le chemin de l’école.
Quitter la rue pour les classes
Même après avoir fait de la rue sa demeure pendant quelques années, il n’est pas trop tard pour revenir sur le bon chemin et redonner un sens à sa vie. L’expérience que vivent les enfants de la rue de Zongo en est une parfaite illustration. Grâce à l’ONG Hälsa International, certains d’entre eux ont recommencé, petit à petit, à retrouver le goût de l’école.
Créée en 2012, l’ONG Hälsa International s’est assignée la mission de contribuer à l’amélioration des conditions de vie socio-économique et culturelle des enfants les plus défavorisés, principalement dans le domaine de la santé et de l’éducation. Un de ses objectifs est de promouvoir l’éducation et l’alphabétisation des enfants et des jeunes. Hälsa International a donc fait des enfants de la rue une de ses cibles privilégiées. «Croiser les bras et laisser ces enfants à eux-mêmes revient à faire d’eux de véritables dangers en sursis pour le Togo», confie Kévin Fiashinou, directeur exécutif de cette organisation.
C’est ainsi que cette ONG a eu l’idée de mettre en place un projet pilote pour expérimenter une approche nouvelle dans le processus de réinsertion scolaire des enfants de la rue dans une école formelle. Un projet dénommé «L’Ecole Alternative» qu’elle met en œuvre depuis novembre 2016 sur le site de Zongo. «Les enfants de la rue ont également le droit d’être scolarisés. Nous avons donc pensé à rapprocher l’école d’eux », explique le premier responsable de cette ONG.
Le projet «L’école alternative» vise à contribuer à la mise en place d’un mécanisme éducatif alternatif pour favoriser l’alphabétisation des enfants de la rue. Il s’agit, plus précisément, d’offrir des cours de lecture, d’écriture, de calcul écrit et d’éducation financière aux enfants, d’accompagner l’intégration de certains d’entre eux dans une école formelle et de plaider auprès des institutions de formation professionnelle pour une admission d’autres enfants qui ne pourront pas faire l’objet d’une réintégration scolaire. En somme, des connaissances de base sont données à ceux d’entre eux qui n’ont pas eu la chance d’être scolarisés et une remise à niveau effectuée à ceux qui ont précocement abandonné l’école.
«Les débuts furent difficiles, vu que ces enfants ne sont pas comme ceux qui sont à la maison. Il a fallu adopter une nouvelle approche pédagogique pour pouvoir travailler avec eux. Finalement nous avons progressivement réussi à les convaincre de recommencer à apprendre», témoigne un moniteur déployé sur le terrain par Hälsa International.
Et comme si la vie voulait donner une nouvelle chance à certains des enfants de la rue de Zongo, ils ont adhéré au projet. Rodrigue, Daniel et Roger, nos trois compagnons, font partie de ceux-là. Nous les avons retrouvés quelques mois plus tard, dans le même quartier, suivant les cours au centre d’écoute installé à Zongo par une ONG de la place. « Ces cours me rappellent les moments où j’allais à l’école», nous confie Roger qui, d’après les moniteurs, fait partie des enfants les plus assidus. Son amitié avec Daniel et Rodrigue a ‘‘contraint’’ ces derniers à faire comme lui.
Un nouveau départ !
Le travail des trois garçons a fini par payer. Après quelques mois de cours, ils ont été retenus parmi les enfants les plus réguliers. Mais en plus d’avoir été assidus, ils se sont montrés très ouverts à une réinsertion scolaire.
« Ils n’ont de cesse de nous rappeler qu’ils veulent reprendre l’école. Après la phase d’évaluation des performances individuelles, c’est sans grande surprise qu’ils ont été retenus », confie Kévin Fiashinou, le patron de Hälsa International.
Aujourd’hui, la rue n’est plus qu’un mauvais souvenir pour Rodrigue, Daniel, Roger et quelques autres enfants abandonnés du quartier Zongo. Dans le but de les réintégrer dans le système éducatif formel, ils ont été envoyés dans un orphelinat et ont repris les classes depuis le 2 octobre dernier, date de la rentrée scolaire 2017-2018. Un nouveau départ pour ces enfants qui, désormais, peuvent envisager leur avenir avec un peu plus de sérénité.
Mais combien sont-ils encore à faire de la rue leur domicile ? Combien sont-ils à abandonner très tôt l’école pour une raison ou une autre ? La question mérite d’être posée. Des enquêtes récemment menées par l’ONG ANGE (Amis pour une Nouvelle Génération des Enfants) ont révélé qu’au moins 6000 enfants vivent dans la rue au Togo. La preuve des défis qui restent à relever pour atteindre l’objectif 4 des ODD et permettre ainsi à tous, même aux enfants les plus marginalisés, d’avoir accès à une éducation de qualité pour se forger un avenir meilleur.
Larissa AGBENOU