Togo: La fermeture de LCF et City FM vue par le CACIT !

luzdelsol668
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(Agence Société Civile Média)La Fermeture de LCF et City Fm par la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) a sans nul doute été l’affaire de cette semaine au Togo. Quelques jours après cette fermeture, le Collectif des Associations contre l’Impunité au Togo (CACIT) sort du silence. Mais contrairement aux autres organisations de la société civile, le CACIT a fait une analyse approfondie de la situation avant de conclure que la fermeture des deux médias constitue « une violation flagrante et manifeste de la Constitution togolaise et des textes législatifs et réglementaires en matière d’information et de communication ». Lisez plutôt.

Le Collectif des Associations contre l’Impunité au Togo (CACIT) a pris acte du différend entre la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) et le Groupe Sud Média. Eu égard aux impacts liés aux droits de l’Homme que révèle litige, le CACIT s’est auto-saisit et a mené des investigations dont la teneur se trouve dans la présente analyse.

Le CACIT précise que pour cette analyse, il a eu des entretiens avec plusieurs acteurs dont le vice-président de la HAAC, le directeur général par intérim de l’Autorité de Régulation des secteurs des Postes et Télécommunications (ARTP), le directeur Général du Groupe Sud Media.

A la lecture des deux décisions n°001 HAAC/17/P, portant retrait des fréquences à « LA CHAINE DU FUTUR » (LCF)  et n°002 HAAC/17/P portant  retrait des fréquences à la Radio « CITY FM » du 06 février 2017 et sur la base des informations recueillies, le CACIT fait les analyses suivantes.

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  1. SUR LA FORME

Au-delà du déroulement des faits et des points de vue exprimés,  la question fondamentale qui se pose est la suivante : La HAAC  a-t-elle compétence pour retirer les fréquences radioélectriques à la télévision LCF et à la radio City FM ?

Pour répondre à cette question, il y a lieu tout d’abord de relever les attributions, les recours et les pouvoirs de sanctions de la HAAC en lien avec le cas d’espèce.

  1. Les attributions de la HAAC

La loi organique n° 2004-021/PR du 15 décembre 2004 relative à la HAAC modifiée par la loi organique n°2009-029 du 22 décembre 2009 et la loi organique n°2013-016 du 08 juillet 2013 dispose en son article 24  que : « La Haute Autorité  est seule habileté à donner l’autorisation d’installation et d’exploitation des chaines de télévision et de radiodiffusion privées, des sociétés de production audiovisuelle, des agences de publicité et des vidéoclubs.. ».

La même loi dispose en son article 32 alinéa 1 que « La Haute Autorité délibère sur toutes les questions intéressant les médias et les autres moyens de communication. ».

Elle prévoit en outre que: « L’installation et l’exploitation de radiodiffusion sonore, de télévision et des autres moyens de communication audiovisuelle privés notamment les sociétés de production audiovisuelles, les agences de publicité et les vidéoclubs, sont soumises à autorisation préalable. » (article 43 alinéa 1er)

Il y a donc lieu de retenir que la délivrance de l’autorisation d’installation et d’exploitation des chaînes de télévisions et radio diffusion privés relève de la compétence de la HAAC.

En l’espèce, il revient à la HAAC de donner l’autorisation d’installation et d’exploitation à la télévision LCF et à la radio City FM.

C’est donc à bon droit que l’ARTP a transmis les fiches d’attribution de canaux et fréquences radio sud et sud télévision  en date du 07 juin 2007 en réponse au courrier n° 0070/HAAC/07/P du 11 mai 2007 de la HAAC.

  1. Les recours et sanctions disponibles

L’alinéa 2 de l’article 32 sus énoncé dispose que la HAAC  « peut formuler des propositions, donner des avis et faire des recommandations sur les questions relevant de sa compétence à l’attention des pouvoirs exécutif et législatif. ».

Les articles 57 et 62 de la même loi organique font état de la mise en demeure public adressé par la HAAC au directeur d’un média qui ne respecte pas les obligations imposées par la loi ou les règlements. « La HAAC peut ester en justice  en cas du non-respect des cahiers de charges. Cette possibilité de saisir le juge peut être étendue au cas de modification substantielle au vu desquels l’autorisation avait été délivrée, faux et usage de faux… »

En outre, aux termes de l’article 62 de la loi organique de la HAAC, « en cas d’inobservation des recommandations et mise en demeure par les directeurs……, la HAAC saisit les juridictions compétentes qui prononcent les sanctions suivantes selon la gravité de la faute :

La suspension de l’autorisation pour un (1) moins au plus….

Le retrait définitif de l’autorisation avec saisie des équipements»

A la lecture combinée des articles précités, il y a lieu de faire deux observations :

La loi organique prévoit des recours exécutifs et législatifs

La loi organique prévoit aussi des recours judiciaires.

C’est dire que le législateur n’entendait pas laisser la question des sanctions de privation de liberté à la HAAC, mais plutôt à l’autorité judiciaire. Il lui a donné la possibilité aussi de faire des recommandations à l’autorité exécutive et législative.

En l’espèce, la HAAC avait donc la possibilité d’adopter une des deux démarches suivantes à l’endroit de la télévision LCF et de la radio CITY FM : délibérer et faire des recommandations aux autorités sus évoquées ou saisir l’autorité judiciaire.

La possibilité que lui confère le législateur à l’article 52 de refuser le renouvellement de l’autorisation est-elle même assujettie au contrôle du juge administratif.

En clair, le droit constitutionnel selon lequel « le pouvoir judiciaire est garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens » (article 113 de la Constitution togolaise) est réaffirmé dans la démarche du législateur de la loi organique de le HAAC.

Il  y a lieu de comprendre que la HAAC devrait avoir de la retenue dans sa démarche en s’abstenant de prendre des mesures allant dans le sens de la privation de la liberté d’expression et de presse. La République lui recommande de faire recours au juge pour ce faire.

Toutefois, la dérogation au principe de la garantie des libertés et droits fondamentaux, notamment le droit à la liberté d’expression et de presse relevé dans l’article 52 de la loi organique, est elle-même assujettie au contrôle du juge administratif.

Au demeurant, la sanction du retrait  des fréquences radioélectriques ne transparaît ni dans la loi organique ni dans le code de la presse et de la communication.

C’est la lecture de la décision n° 2001-001/ART&P/CD du 05 septembre 2001, relative aux modalités de gestion et de surveillance du spectre des fréquences radioélectriques, qui vient éclairer la question de l’autorité  compétente pour retirer les fréquences.

En effet l’article 3 de cette décision  énonce que  « … L’ARTP est l’utilisateur de fréquences ;  c’est-à-dire  le titulaire  de la décision d’assignation. » De ce fait, « les décisions d’assignation de fréquences peuvent être révoquées à tout moment, sans indemnité, notamment dans le cas d’adoption de nouvelles dispositions, de besoin en terme de disponibilité spectrale pour le développement des réseaux de télécommunications ou de non-respect des dispositions qui ont motivé les décisions d’assignation. ». (article 9 de la décision du 05 septembre 2001).

En conséquence, le retrait des fréquences relève de la compétence exclusive de l’ARTP qui dispose, gère et surveille les fréquences radioélectriques. Les décisions administratives prises par l’ARTP « peuvent faire l’objet d’un recours en annulation auprès de la chambre administrative de la Cour d’appel dans un délai de deux mois à compter de leur notification ou publication… » (article 66 de la loi n°1998-05 du 11 février 1998 sur les télécommunications modifiée par les lois n° 2004-10 et 2004-11 du 03 mai 2004).

Toutefois, il y a lieu de noter que les conditions dans lesquelles l’ARTP peut retirer les fréquences ne sauraient s’appliquer en l’espèce.

Au regard de la réglementation  en vigueur  et en prenant en compte cette décision de l’ARTP de 2001, il y a lieu de  relever que le président de la HAAC  a outrepassé les compétences que lui confère la loi organique. Le président de la HAAC a donc pris sa décision en méconnaissance de la réglementation en vigueur.

  1. La prescription légale imposée à la HAAC

L’article 66 de la loi organique dispose que «  la Haute Autorité ne  peut être saisie des faits remontant à plus de trois (3) ans s’il n’a été fait aucun acte tendant à leur recherche, à leur constatation ou à leu sanction ».

Il s’en suit qu’en l’espèce, c’est en 2012, soit cinq (5) ans après l’installation et l’exploitation des fréquences que la HAAC interpellât les deux organes. Toutes les démarches qui s’en n’ont suivies sont, en réalité, faites de manière irrégulière.

A supposé que la HAAC ait fait des démarches auprès de la télévision LCF et de la radio City FM avant la prescription, elle se trouve dans l’obligation de produire de tels actes par des documents et non par des faits.

En conséquence de la prescription de trois (3) ans, les décisions de retrait des fréquences à la télévision LCF et de la radio City FM par la HAAC sont irrégulières.

  1. SUR LE FOND

Les deux chaînes exploitent les fréquences assignées par l’ARTP bientôt dix ans. La HAAC continue de déclarer qu’elles sont installées illégalement. Il y a lieu de s’interroger sur la valeur juridique du courrier n° 0070/HAAC/07/P du 11 mai 2007 qui a permis  aux  deux chaînes d’obtenir  des assignations de  fréquences de la part de l’ARTP.

Il parait dubitatif à ce jour  de concevoir la confirmation de la HAAC  de ne pas retrouver les dossiers de ces deux chaines de diffusion, encore que durant toute la période de l’exploitation des fréquences, les deux chaines ont régulièrement payé les redevances et au surplus bénéficié de l’aide  de l’Etat à la presse depuis l’instauration de cette mesure par le gouvernement pour accompagner les médias conformément à l’article 5 du code de la presse et de la communication (Loi n° 98 – 004 /PR du 11 février 1998 modifiée par la loi n°2000 – 06  du 23 févier 2000  modifiée par la loi n° 2002 – 026  du 25 septembre 2002 modifiée par la loi n° 2004 – 015  du 27 aout 2004.)

A supposé même que les deux chaînes n’ont  obtenu aucune autorisation  d’installation et d’exploitation auprès de la HAAC, qu’est ce qui aurait motivé la HAAC en 2007 à saisir l’ARTP aux fins de demander les fiches d’attribution  de canaux et de fréquences ? Pourquoi la HAAC n’a-t-elle pas réécrit ou saisi l’ARTP pour constater l’irrégularité des démarches du Groupe Sud média et demander de ce fait le retrait des fréquences par l’ARTP ?

A cela s’ajoute la question de la raison sociale. En effet, les reçus des achats des dossiers d’appel d’offres pour assignation de canaux de télévision et de fréquences FM sont délivrés pour le compte du Groupe Sud Média. S’il est contesté au groupe Sud Média  l’utilisation actuelle des noms LCF et City FM, il suffit au Groupe Sud Média d’adresser une lettre d’information à la HAAC pour la régularisation de la situation. A contrario, la HAAC peut adresser une mise en demeure publique  au Groupe Sud Média conformément à l’article 57 de la loi organique.

Au surplus, le fait de jouir des  fréquences et de les exploiter depuis 2007 s’apparente de facto à une autorisation implicite accordée par la HAAC à ces deux chaînes. A la volonté de la HAAC d’objecter une discontinuité dans la jouissance de ce droit, il peut lui être rétorqué le fait qu’après des tractations, le HAAC permettait non seulement à la chaîne de télévision LCF et la radio CITY FM de continuer par émettre, mais aussi de bénéficier des aides légales octroyées aux médias en règle.

S’il s’avérait que les deux chaînes n’ont pas d’autorisation  d’installation et d’exploitation, ceci relèverait de la responsabilité de la Haute Autorité de l’Audiovisuelle et de la Communication. En effet, il serait inconcevable  d’admettre que la HAAC puisse  donner la latitude à une chaîne de s’installer, d’exploiter les fréquences, d’être sur satellite au détriment de la chaîne nationale TVT, de couvrir des évènements majeurs, de recevoir sur ses antennes les membres du gouvernement et les autres institutions de la république, sans que cette dernière n’ait l’autorisation.

Au demeurant la HAAC devrait rendre compte

En l’espèce, la HAAC se fourvoierait à maintenir sa position selon laquelle les deux organes sont dans l’irrégularité.

III. CONCLUSION

La décision de retrait des fréquences notifiée à LCF et radio City FM, comme telle prise par la HAAC ne  nous paraît pas conforme à la loi. Nulle part dans la loi organique en vigueur   de la HAAC,  il ne transparait la compétence de retrait des fréquences. La HAAC a compétence de donner des autorisations, de retirer les autorisations en faisant recours à une autorité judiciaire. Elle n’a nullement compétence à retirer les fréquences.

Au regard des développements faits plus haut sur la forme, c’est l’ARTP qui est compétente pour retirer les fréquences en tant que titulaire  de la décision d’assignation conformément à la décision n° 2001-001/ART&P/CD du 05 septembre 2001, relative aux modalités de gestion et de surveillance du spectre des fréquences radioélectriques. Il n’est pas superflu de rappeler que la présente affaire ne rentre pas dans les cas prévus par la décision visée.

Au final, il y a lieu de réitérer que le Président de la HAAC n’est pas compétent pour prendre les décisions de retrait de fréquences  de la télévision LCF et de la radio CITY FM. Cette décision est une violation flagrante et manifeste de la Constitution togolaise et des textes législatifs et réglementaires en matière d’information et de communication.

  1. RECOMMANDATIONS

Constatant le caractère irrégulier de l’acte administratif pris par le président de la HAAC,

Au regard du caractère d’utilité publique des activités de la chaîne de télévision LCF et de la radio CITY FM,

Considérant  les répercussions sociales de cette décision sur les employés et leur famille et les conséquences d’ordre éducatif sur la population,

Le Collectif des Associations Contre  l’Impunité au Togo (CACIT) recommande :

Au Chef de l’Etat

En tant que premier magistrat, d’user de tout son pouvoir pour le respect des lois de la République togolaise.

A l’Assemblée nationale

D’interpeler le président de la HAAC aux fins de fournir des explications  sur l’affaire.

Au médiateur de la République

De mener une conciliation entre la HAAC et la télévision LCF et la radio CITY FM.

A la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH)

D’intervenir auprès de la HAAC pour le respect des libertés et droits fondamentaux.

A la HAAC

De rapporter les deux décisions;

De « garantir  et d’assurer la liberté et la protection de la presse et des autres moyens de communication » conformément à l’alinéa 1er de l’article 130 de la constitution togolais.

Au Groupe Sud Média

D’écrire à la HAAC aux fins de rapporter les décisions  n°001 HAAC/17/P, portant retrait des fréquences à « LA CHAINE DU FUTUR » (LCF)  et n°002 HAAC/17/P portant  retrait des fréquences à la Radio « CITY FM » du 06 février 2017 ;

D’user des voies légales afin que la légalité soit rétablie,

A la société civile et aux médias

D’user des voies légales pour contester et de demeurer vigilants jusqu’à ce que le droit soit dit.

Aux partenaires techniques et financiers

D’interpeler le gouvernement togolais  pour le respect des libertés et des droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression et de presse.

A toute personne de bonne volonté

D’user de toute voie pacifique disponible pour faire triompher le droit et la justice.

Fait à Lomé, le 10 février  2017

Pour le CACIT,

Le Directeur exécutif a.i.

Ghislain Koffi NYAKU