USAID / Kako NUBUKPO : « Il y a beaucoup d’ONG qui vont se retrouver à court d’argent »

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(Société Civile Médias) – L’économiste togolais, Kako NUBUKPO, réagit à la décision brutale de Donald Trump de suspendre l’aide américaine au développement. Alors que le gouvernement américain a décidé de supprimer 92% des financements à l’étranger de l’USAID, l’ancien ministre souligne les conséquences immédiates pour les Organisations Non Gouvernementales (ONG) et les populations africaines. Il appelle les États africains à repenser leur souveraineté économique et à assumer pleinement leurs politiques budgétaires. Kako NUBUKPO propose par ailleurs une révision du système d’aide internationale, insistant sur l’importance d’une coopération gagnant-gagnant et sur la montée en puissance des pays du Sud global. Il s’est exprimé sur le sujet dans une interview accordée à nos confrères de RFI. Lecture !

Comment avez-vous réagi en apprenant la suspension de l’aide au développement américaine ?

Ce fut brutal comme annonce, et j’allais dire un peu excessif. C’est quand même 20 milliards de dollars qui vont vers l’Afrique normalement, en provenance des États-Unis, qui ne viendront pas cette année.

Est-ce que vous pensez que cette décision de Donald Trump était prévisible, en quelque sorte ?

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Oui et non. Oui, parce que, durant son premier mandat, il a eu parfois des propos qui marquaient quasiment du mépris par rapport à l’Afrique. Et puis, le fait d’avoir demandé à Elon Musk de faire un peu la revue des dépenses publiques américaines pouvait laisser présager des coups sombres. Mais c’est clair que c’est surprenant, parce qu’on a l’impression qu’il est resté dans une vision de l’aide, de charité, alors que, de toute évidence, aujourd’hui, l’aide, c’est de l’investissement gagnant-gagnant.

On peut peut-être parler de l’impact de cette décision américaine sur les populations et les pays africains. Est-ce qu’il y a une manière de mesurer cet impact ?

Oui, à trois niveaux. Il y a déjà les gens qui travaillent dans ces agences d’aide, comme l’USAID, qui se retrouvent au chômage technique.

Il y a beaucoup d’ONG qui dépendent des financements de l’USAID, qui vont se retrouver également à court d’argent. Et puis il y a surtout les populations bénéficiaires de cette aide. Vous savez, depuis les programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale, plusieurs secteurs, notamment sociaux en Afrique, dépendent quasiment de l’aide publique au développement. La santé, l’éducation…c’est-à-dire que le fonctionnement est assuré par le budget national, mais pour l’essentiel, les budgets d’investissement dépendent des aides.

Pourtant, vous appelez aussi à relativiser le poids et l’importance de cette aide américaine.

L’Afrique exporte à peu près 600 milliards de dollars en termes de recettes d’exportation qui ne sont pas forcément rapatriées. Et en plus, la CNUSAID nous indique qu’il y a à peu près 90 milliards de dollars chaque année de flux financiers illicites qui quittent l’Afrique en direction du reste du monde. Donc, en net, l’Afrique apporte plus au reste du monde que l’inverse. Et donc, c’est une question au fond de narratif.

Alors, que peuvent faire les États africains ? Est-ce que ce n’est pas justement le moment pour eux de repenser certaines de leurs politiques budgétaires, notamment ?

Nous nous sommes complus dans l’acceptation du narratif occidental qui consistait à dire qu’on nous aide. Dans les faits, ce n’est absolument pas vrai. Et comme, en plus, nous avons toujours eu des dirigeants qui donnaient l’impression d’aller quémander auprès du reste du monde ce dont ils avaient besoin pour piloter leur nation, il s’est installé ce narratif. Et donc, il est temps d’assumer les fonctions régaliennes des États. On ne peut pas laisser les fonctions régaliennes de l’État aux aléas des flux d’aides publiques au développement. Et de ce point de vue, l’annonce américaine peut servir, au fond, de réveil pour les dirigeants africains qui doivent comprendre qu’ils doivent assumer pleinement la souveraineté économique.

Et alors, quels sont les défis qui se posent à eux ?

Il y a un enjeu autour de la dette. Parce qu’aujourd’hui, ce que nous constatons, c’est que le ratio du service de la dette sur les recettes totales est de 54 % en Afrique, contre 10 % dans les pays développés. Ça veut dire que plus de la moitié de vos recettes, fiscales et non fiscales, est consacrée au remboursement de la dette. Donc, au moment où vous votez votre budget, vous savez déjà que vous êtes amputé de plus de la moitié de vos recettes. Comment vous voulez piloter les politiques économiques si vous n’avez que la moitié des ressources budgétaires ? Et c’est pour ça que moi, je plaide pour une annulation de la dette, parce qu’on voit qu’aujourd’hui, le service de la dette empêche les États d’avoir de vraies politiques publiques volontaristes.

Il semble aussi que vous faites partie de ceux qui ont appelé à une refonte du système de solidarité internationale. En fait, vous n’êtes pas non plus pour une suppression totale des mécanismes d’aide. Qu’est-ce que vous entendez par refonte du système de solidarité internationale ?

C’est simplement revenir aux fondamentaux. L’aide est utile, mais il faut qu’elle soit bien pensée, bien utilisée et bien évaluée. Du coup, j’ai quasiment envie de dire, par rapport à l’annonce américaine, qu’il ne faut pas jeter l’aide avec l’eau du populisme. La communauté internationale construit, depuis un demi-siècle, quelque chose d’important, dans laquelle nous les Africains nous nous inscrivons. Et donc, ce multilatéralisme équitable, moi, je prône qu’il ne soit pas abandonné. Et c’est pour ça que je dis que tous les outils existent déjà pour qu’on fasse du bon travail collectivement. L’enjeu, c’est de sortir des dépendances subies et d’opter pour des interdépendances choisies.

Ça pourrait aussi les inciter à se tourner vers d’autres partenaires, j’imagine.

Ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le Sud global, avec des pays comme la Russie, la Chine, l’Inde, l’Iran et d’autres, vont certainement prendre la place que les Américains sont en train de laisser vide en Afrique. Et c’est pour ça qu’au fond, on a l’impression que l’Occident se tire une balle dans le pied par ce type d’annonce. Au fond, ça accrédite la thèse d’un retrait de l’Occident et ça légitime aussi une montée en puissance des BRICS.

Et donc, c’est très intéressant d’un point de vue géopolitique de comprendre que ce type d’annonce n’est pas neutre.