Last Updated on 11/08/2025 by Société Civile Médias
(Société Civile Médias) – Au Forum international des jeunes sur la souveraineté alimentaire (FIJ-SA), organisé la semaine dernière à Lomé, la question des semences a occupé une place centrale. Symbole de l’autonomie des producteurs et levier fondamental pour une agriculture durable, elle reste pourtant confrontée à de nombreux défis sur le continent africain. En marge d’un panel consacré à l’organisation de la production et à la commercialisation des semences en Afrique, Société Civile Médias s’est entretenu avec Jacques Nametougli, expert en semences et Directeur exécutif du Centre de Développement Agricole et Artisanal (CD2A). Il revient sur les enjeux liés à la filière semencière, les freins actuels, et les pistes pour renforcer l’accès des producteurs à des semences de qualité, adaptées aux réalités locales.
Société Civile Médias : Bonjour M. Jacques Nametougli.
Jacques Nametougli : Bonjour Société Civile Médias.
- Advertisement -
Pouvez-vous nous décrire comment s’organise actuellement la filière semencière, de la production à la distribution ?
La filière semencière, si l’on se concentre sur les semences paysannes, s’organise principalement autour de la production locale et de la transmission de savoir-faire. Nous travaillons en réseau pour promouvoir ces semences au Togo et sur le continent. Cela passe par l’organisation de foires dédiées aux semences paysannes, qui permettent non seulement de les exposer, mais aussi de favoriser les échanges entre producteurs.
En parallèle, nous menons des campagnes de sensibilisation pour former les paysans à toutes les étapes : la production, la sélection rigoureuse des semences, leur conservation dans de bonnes conditions, et leur réutilisation d’année en année. L’idée est de préserver la semence reproductible, qui conserve ses qualités au fil des saisons, contrairement aux semences hybrides qui ne peuvent pas être replantées durablement.
Quelles sont les principales contraintes qui freinent la production locale de semences de qualité ?
La première difficulté est liée au changement climatique. Des périodes de sécheresse au moment critique de la maturation peuvent réduire drastiquement la qualité et le rendement des semences. Ensuite, la question économique joue un rôle important. Beaucoup de producteurs ne parviennent pas à vendre au juste prix, ce qui freine leur motivation à investir dans la production de semences de qualité.
Enfin, il existe un problème de reconnaissance officielle : la certification. Sans certification adaptée, les semences paysannes peinent à être considérées comme fiables par certains acteurs, alors qu’elles sont souvent mieux adaptées aux conditions locales que les semences importées.
Justement, comment abordez-vous la question de la certification ?
Nous avons mis en place un Système Participatif de Garantie (SPG). Ce dispositif repose sur l’implication directe des paysans et des consommateurs. Ils visitent ensemble les champs, observent les cultures, échangent sur les pratiques, et certifient la qualité des semences produites.
C’est un modèle adapté à nos réalités, car il ne dépend pas uniquement des laboratoires ou des institutions officielles. Il favorise la confiance mutuelle, valorise les savoirs paysans, et permet une certification qui prend en compte la réalité du terrain, plutôt qu’une norme imposée de l’extérieur.
Les changements climatiques ont un impact croissant sur la production. Comment vous adaptez-vous à cette situation ?
Les changements climatiques représentent un défi majeur, mais les paysans disposent d’un atout : leur connaissance intime de leur territoire. Chaque producteur connaît les cycles de pluie, les particularités de son sol, et les variétés les mieux adaptées à sa région.
Nous travaillons à renforcer cette expertise en sélectionnant des semences résilientes, capables de s’adapter aux variations de climat. Nous évitons également l’introduction de semences étrangères qui pourraient perturber les écosystèmes locaux ou diminuer la productivité à long terme. L’adaptation passe donc par l’observation, l’anticipation et la valorisation de nos propres ressources génétiques.
Quelles priorités devraient être mises en place pour améliorer l’accès des producteurs à des semences de qualité ?
La première priorité est de préserver et valoriser les variétés anciennes. Certaines existent depuis plus de 80 ans et ont prouvé leur résistance : le café, le cacao ou le manioc dans les Plateaux, le sorgho et le mil dans les Savanes, ou encore l’igname dans la région de la Kara. Ces cultures sont profondément enracinées dans nos terroirs et adaptées à nos conditions climatiques.
Un autre chantier concerne les semences maraîchères. Aujourd’hui, beaucoup de variétés que nous consommons, tomates, choux, poivrons proviennent de l’étranger. Cela nous rend dépendants. L’enjeu est de travailler à leur domestication, c’est-à-dire à les adapter et à les transformer en semences paysannes que nous pourrons reproduire localement.
Propos recueillis par Amen TEWOU