(Société Civile Médias) – L’usage des pesticides dans les cultures s’est largement répandu en Afrique, en particulier au Togo, où nombre d’agriculteurs les considèrent comme un moyen efficace d’accroître les rendements et de lutter contre les ravageurs. Mais derrière ces avantages apparents se cachent de graves menaces pour la santé humaine. C’est ce que met en lumière le film « Les Antilles empoisonnées : la banane et le chlordécone », projeté par l’Organisation pour l’Alimentation et le Développement Local (OADEL) et ses partenaires dans le cadre du Festival des films ALIMENTERRE. Cette projection suivie d’un débat visait à sensibiliser le public aux dangers des pesticides sur la santé et l’alimentation, tout en encourageant une prise de conscience collective en faveur de pratiques agricoles plus sûres et durables.
Projeté le mercredi 5 novembre 2025 à Lomé, le film « Les Antilles empoisonnées : la banane et le chlordécone », réalisé par Nicolas Glimois en 2024, raconte l’un des plus grands scandales sanitaires et environnementaux de l’histoire française. Il revient sur l’usage massif du pesticide chlordécone dans les plantations de bananes en Martinique et Guadeloupe entre 1972 et 1993, malgré sa toxicité connue et son interdiction déjà effective ailleurs. Ce produit, destiné à lutter contre le charançon du bananier, un insecte ravageur, a contaminé durablement les sols, les rivières, les animaux et la population, dont plus de 90 % portent aujourd’hui des traces du poison dans le sang.

À travers des témoignages de scientifiques, d’agriculteurs et de victimes, le film dévoile comment l’économie de la banane, pilier des Antilles françaises, a pris le pas sur la santé publique. Il met en lumière la responsabilité de l’État et des grands planteurs, accusés d’avoir fermé les yeux pour préserver un système hérité de la période coloniale.
Le documentaire montre aussi les conséquences actuelles de cette pratique notamment la hausse des cancers et la pollution persistante pour des siècles.
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Une projection suivie de débat sur le cas du Togo
La projection, suivie d’un débat, a offert l’occasion d’aborder la situation du Togo en matière d’usage des pesticides.

Selon le Prof. Aboudou Latif Diallo, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences de la Santé (FSS) de l’Université de Lomé, une étude faite sur plusieurs cultures vivrières et fruitières comme la tomate, l’orange, la carotte, la banane (pour ne citer que celles-ci) révèle qu’elles contiennent toutes en moyenne 13 types de pesticides.
« Une situation dangereuse, et c’est ce qui provoque des lésions à bas bruit. Ils agissent également à plusieurs niveaux notamment au niveau du système nerveux central, du système métabolique et de plusieurs organes comme le foie et le rein », alerte le professeur, qualifiant cette situation de « bombe à retardement qui va nous sauter en pleine figure ».
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A en croire M. Abdou Latif Diallo, la contamination par les pesticides au Togo résulte principalement de leur usage abusif, de leur mauvaise manipulation et du non-respect des recommandations officielles. Pour limiter les risques, il est essentiel que les agriculteurs respectent les délais avant récolte après chaque pulvérisation, effectuent les traitements loin des habitations et utilisent des équipements de protection individuelle.
« Ces précautions sont indispensables pour protéger la santé des cultivateurs et des consommateurs, d’autant que certains effets des pesticides restent invisibles mais persistants dans l’organisme et dans l’environnement », explique le Professeur.



Également présente lors de la projection, Akofa Dégbé, capitaine des eaux et forêts, représentant le ministère en charge de l’Environnement, a exposé les actions entreprises à leur niveau en vue d’atténuer la situation.
D’après Mme Dégbé, concernant la gestion des pesticides au Togo, le ministère de l’Environnement mène deux projets. Le premier est un projet pilote visant à évaluer les risques sanitaires et environnementaux liés à l’utilisation et au commerce des pesticides dans deux préfectures pilotes à savoir Moyen-Mono et Bassar. Ce premier projet a permis de dresser un état des lieux, qui a révélé un constat alarmant quant aux impacts négatifs de la gestion et de la commercialisation des pesticides.
« Après ce premier projet pilote, des actions de sensibilisation ont été menées dans ces deux préfectures. Ces actions ont ciblé les élus locaux, les chefs canton, les chefs de village, les Comités de développement de villages (CVD), afin qu’ils puissent diffuser l’information et sensibiliser leurs population », précise la Capitaine des eaux et forêts.
Le second projet a consisté à étendre l’étude pilote à l’ensemble des préfectures du Togo.
« Les résultats de la deuxième étude, c’est-à-dire du deuxième projet, ont confirmé ceux révélés par le projet pilote. A la suite de cela il y a eu également des séances de sensibilisation qui ont ciblé d’abord les Directeurs préfectoraux de l’environnement et des ressources forestières, ainsi que les chefs agence ICAT qui a leur tour iront diffuser la sensibilisation dans leurs localités », indique Mme Dégbé.
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Par ailleurs, dans le cadre de ces deux projets, le ministère en charge de l’Environnement, avec l’appui de la FAO, a formulé des recommandations dont la mise en œuvre permettrait de corriger les problèmes mis en lumière par les études.
« J’en citerai quelques-unes. Il s’agit notamment du renforcement du cadre juridique, qui consiste à actualiser la législation relative à l’importation, à la distribution et à l’utilisation des pesticides, et à mieux l’adapter aux réalités nationales. Une autre recommandation est relative au renforcement du cadre réglementaire consiste à accentuer la répression, à renforcer le contrôle des marchés et des frontières, à alléger les taxes et les frais liés aux procédures d’homologation et à l’octroi d’accords et d’autorisations de vente de produits phytosanitaires. Nous avons également recommandé la formation et la sensibilisation des acteurs agricoles et des commerçants et que cette formation porte sur l’utilisation des pesticides homologués, leurs impacts sanitaires et environnementaux, leur utilisation rationnelle, les dangers liés à la réutilisation des emballages vides, etc. », indique Akofa Dégbé.
Le ministère a également recommandé de promouvoir la recherche sur la formulation de biopesticides en subventionnant des chercheurs privés et des universités nationales, et en encourageant la production à grande échelle des biopesticides.
Pour Nadège Tougan, chargée de projet à OADEL, cette projection ne se limite pas à une simple sensibilisation mais interpelle aussi à une prise de conscience collective sur le danger que représentent les pesticides. Adopter des pratiques agroécologiques, encourager la recherche et responsabiliser les décideurs deviennent des priorités. La santé de millions de personnes dépendra de la capacité à transformer en actions les messages portés par ce film.


