La CEDEAO à la croisée des chemins : défendre la démocratie ou sombrer dans l’oubli

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Par André Kangni AFANOU, président du CDFDH

Alors que l’Afrique de l’Ouest traverse une période de bouleversements géopolitiques majeurs, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se trouve à la croisée des chemins. L’institution, autrefois perçue comme un pilier d’intégration et de stabilité dans la région, est aujourd’hui confrontée à des défis politiques internes qui mettent en péril sa crédibilité et sa survie. Entre démocraties fragiles et régimes autocratiques, la CEDEAO doit choisir son camp et répondre aux attentes des citoyens qui aspirent à plus de liberté, de justice et de redevabilité.

1. Deux visages de l’Afrique de l’Ouest : démocratie ou autoritarisme ?

Les récents événements en Afrique de l’Ouest ont mis en lumière deux types de régimes qui s’opposent dans la région, chacun incarnant des visions radicalement différentes de la gouvernance.

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D’une part, les démocraties où la séparation des pouvoirs est réelle, garantissant l’indépendance des institutions judiciaires et législatives. Ces régimes s’appuient sur la dévolution du pouvoir à travers des élections libres, transparentes et honnêtes, offrant aux citoyens l’opportunité de choisir leurs dirigeants dans un environnement politique ouvert. Une société civile dynamique, aux côtés d’une presse libre et critique, jouent un rôle essentiel dans l’exercice du contrôle citoyen. Ces États assurent également la protection et la jouissance effective des droits et libertés fondamentales de leurs citoyens, permettant à chacun de s’exprimer, de manifester, et d’interpeller les autorités sans crainte de répression.

D’autre part, certains régimes se sont éloignés de ces principes démocratiques. Ils restreignent les libertés publiques, suppriment ou manipulent les processus électoraux pour maintenir le pouvoir, et musèlent les voix critiques – qu’elles soient issues de la société civile, des médias ou des partis d’opposition. Ces régimes, souvent marqués par des manœuvres autoritaires, modifient les constitutions pour étendre indéfiniment les mandats des dirigeants ou concentrent le pouvoir entre les mains de quelques-uns, au détriment des populations et de la transparence démocratique.

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Cette opposition entre deux types de gouvernance met en exergue les choix cruciaux auxquels font face les États de l’Afrique de l’Ouest. Alors que certains s’efforcent de renforcer leurs démocraties, d’autres glissent vers l’autoritarisme, mettant en péril l’avenir des libertés dans la région.

2. La CEDEAO face à un choix existentiel

La CEDEAO, conçue pour promouvoir l’intégration économique et la paix dans la région, est aujourd’hui à un tournant décisif. Elle doit décider si elle continue à tolérer les dérives autoritaires et les tripatouillages constitutionnels qui érodent la confiance des citoyens, ou si elle adopte une position ferme en faveur des valeurs démocratiques. L’histoire de l’organisation, marquée par des efforts en faveur de la convergence démocratique, est aujourd’hui menacée.

Les pères fondateurs de la CEDEAO, comme Gnassingbé Eyadema et Yakubu Gowon, avaient pour ambition de créer une communauté régionale fondée sur la coopération économique, mais aussi sur des normes politiques communes, dont le respect des droits de l’homme et la démocratie. Ces principes doivent être réaffirmés avec force, car si la CEDEAO échoue à protéger la démocratie, elle risque de devenir une institution obsolète, dépassée par les événements, et perdra toute légitimité aux yeux des populations.

Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas seulement la survie de la CEDEAO en tant qu’institution, mais la crédibilité même du projet d’intégration régionale. L’organisation doit se réformer en profondeur et se positionner résolument pour la démocratie, ou risquer de voir son influence et sa pertinence s’effriter dans un contexte où les régimes autoritaires prennent de plus en plus de place sur l’échiquier politique ouest-africain.

3. Le rôle des citoyens dans la transformation de la CEDEAO

Au-delà des dirigeants, les citoyens de l’Afrique de l’Ouest ont un rôle clé à jouer dans la transformation de la CEDEAO. En étant plus vigilants et en exerçant une pression constante sur leurs gouvernements, ils peuvent exiger que leurs États respectent les valeurs démocratiques. Ils doivent scruter les actions de leurs dirigeants, distinguer ceux qui travaillent réellement pour l’intégration régionale et le renforcement des libertés de ceux qui cherchent à affaiblir ces acquis pour des intérêts personnels ou autocratiques.

L’avenir de la CEDEAO repose sur une alliance entre des dirigeants visionnaires et des citoyens informés et engagés. Le temps n’est plus au simple « wait and see » ; il est urgent d’agir pour préserver et renforcer cette organisation, afin qu’elle devienne véritablement une CEDEAO des peuples, comme l’avaient imaginé ses fondateurs. Le choix est simple : soit la CEDEAO se réinvente et prend la défense des valeurs démocratiques, soit elle s’éteint, emportée par la montée des régimes autoritaires.